Le frein de langue restrictif est un sujet qui soulève de nombreuses questions. Cet article vise à éclairer les professionnels de santé sur les options de prise en charge, le rôle de chacun et la conduite à tenir.
Qu’est-ce qu’un frein de langue restrictif ?
Le frein de langue, également appelé frein lingual, est une membrane fibromuqueuse qui relie la face ventrale de la langue au plancher de la bouche. Chez certaines personnes, ce frein peut être plus court, plus épais, et moins élastique que la normale, limitant ainsi la mobilité de la langue. On parle alors de frein de langue restrictif ou d’ankyloglossie.
Il est important de noter que tous les bébés naissent avec un frein de langue. Cependant, les études montrent que chez 4 à 10% des nourrissons, ce frein peut être restrictif.
Les conséquences potentielles d’un frein restrictif chez l’enfant
Un frein de langue est dit “restrictif” s’il impacte le fonctionnement optimal d’une personne, en l’occurrence ici, des bébés. Il peut avoir diverses répercussions sur le développement de l’enfant :
- **Difficultés de succion**, donc les difficultés d’allaitement** : Un bébé avec un frein restrictif peut avoir du mal à prendre le sein correctement et à exercer les mouvements de langue nécessaires pour téter efficacement. Ce n’est pas forcément douloureux pour la maman ! Inconfort digestif, fatigue du bébé, lactation en baisse ou qui stoppe vers 3 mois, etc. autant de répercussions possibles de cette restriction fonctionnelle. La prise au biberon aussi peut en pâtir !
- **Problèmes de croissance** : En cas de difficultés persistantes d’alimentation , le gain de poids du bébé peut être affecté.
- **Troubles de l’élocution** : À mesure que l’enfant grandit, un frein restrictif peut entraver la prononciation de certains sons. Mais il est impossible de le prédire en amont, bien évidemment.
- **Problèmes de croissance maxillo-faciale** : La position anormale de la langue influence le développement de la mâchoire et l’alignement des dents. Hors, un maxillaire étroit signifie des voies aériennes supérieures étroites, et donc un risque majoré de développer un TROS (trouble respiratoire obstructif du sommeil) dans la petite enfance ou plus tard à l’âge adulte.
- **Difficultés alimentaires** : la langue, alors restreinte dans sa mobilité et donc dans son endurance, peut éprouver des difficultés à réaliser ou à maintenir une mastication de qualité. L’enfant peut alors présenter un refus (ou difficultés avec) des morceaux, une lenteur pendant les repas, ou au contraire tendance à gober, des fausses routes, des hauts-le-coeurs.
- **Retard dans le développement moteur de l’enfant**
Focus sur l’allaitement : quand le frein de langue devient un obstacle
L’allaitement est souvent le premier domaine où les effets d’un frein de langue restrictif se font sentir. En effet, au biberon, une succion de mauvaise qualité est souvent compensée par un débit très rapide, ce qui n’est en rien une solution adaptée, mais elle masque le problème.
Voici quelques signes d’appels :
– Incapacité du bébé à prendre le sein ou à le maintenir en bouche
– Difficulté à ouvrir grand la bouche
– Tétées longues et fréquentes sans que le bébé ne semble rassasié
– Douleurs aux mamelons chez la mère
– Claquements de langue, fuites de lait et prise d’air excessive
Il est crucial de ne pas ignorer ces signes, car ils peuvent compromettre le succès de l’allaitement et la croissance du bébé.
Quand faut-il intervenir en orthophonie ?
L’intervention d’un orthophoniste peut être bénéfique dans plusieurs situations :
- Si le bébé présente des difficultés d’alimentation persistantes, au sein / au biberon / aux solides
- En cas de problèmes d’élocution chez l’enfant plus âgé
- En cas de trouble du sommeil (ronflement, transpiration excessive, bouche ouverte, etc.)
- Pour l’évaluation de la mobilité de la langue et son impact sur les fonctions oro-myo-faciales
L’orthophoniste peut proposer des exercices spécifiques pour améliorer la mobilité de la langue et la coordination des mouvements buccaux, et pour retrouver un fonctionnement optimal. Toutes les difficultés citées ne sont pas systématiquement causées par un frein de langue restrictif, c’est le bilan des fonctions oro-myo-faciales (voir article) qui le déterminera.
Faut-il couper le frein de langue ? Les recommandations actuelles
La décision de couper le frein de langue, appelée frénectomie, fait l’objet de débats dans la communauté médicale. Voici les recommandations actuelles :
- **Évaluation approfondie** : Une évaluation multidisciplinaire est nécessaire avant d’envisager une intervention chirurgicale.
- **Approche conservatrice** : En l’absence de difficultés significatives, la présence d’un frein court ou épais ne justifie pas automatiquement une intervention chirurgicale.
- **Cas par cas** : La décision doit être prise en tenant compte de l’état général du patient et des difficultés spécifiques rencontrées.
- **Prudence** : Il est important de noter une augmentation préoccupante du nombre de frénectomies ces dernières années, ce qui soulève des questions sur la nécessité de toutes ces interventions.
Qui prend la décision de couper le frein de langue ?
La décision de procéder à une frénectomie doit être le résultat d’une collaboration entre plusieurs professionnels de santé :
- **Le pédiatre ou le médecin traitant** : Il coordonne l’évaluation globale de l’enfant.
- **L’orthophoniste** : Il évalue l’impact du frein sur les fonctions orales.
- **Le consultant en lactation** : En cas de difficultés d’allaitement, son expertise est précieuse.
- **L’ORL ou le chirurgien dentiste** : Il peut être consulté pour évaluer la nécessité d’une intervention chirurgicale.
La décision finale doit être prise en concertation avec les parents, après une explication détaillée des avantages et des risques potentiels de l’intervention.
En quoi consiste la rééducation pré et post-opératoire ?
Que l’on opte ou non pour une frénectomie, une rééducation est primordiale pour améliorer la mobilité de la langue, et surtout les fonctions (succion, posture de langue au repos, etc.).
Voici quelques exercices couramment recommandés : attention, ce n’est pas un protocole, à chaque bébé ses difficultés et donc, sa prise en soin spécifique !
- Exercices pré-opératoires :
- **Encourager le bébé à coller sa langue au palais** – L’aider à fermer la bouche et élever la langue. – posture de lèvres et de langue optimale au repos
- **Relâchement des tensions** : du plancher buccal, de chaque côté du frein, des joues, etc.
- **Travail spécifique de la succion** (exercice de rééducation, et gestes d’aide pour compenser)
- Exercices post-opératoires :
- **Étirements** : Réaliser des mouvements d’étirement de la langue plusieurs fois par jour.
- **Poursuite du travail de la succion et de rétablissement des postures lèvres / langue optimales au repos**
- **Stimulations orales** : Continuer les exercices d’élévation de la langue et de mobilité linguale.
Ces exercices doivent être réalisés avec rigueur et régularité, et surtout avec un accompagnement par un orthophoniste ou kinésithérapeute formée. Les parents ne doivent pas se retrouver seuls. Il est recommandé de les effectuer 3 fois par jour avant l’intervention, et pendant 4 à 6 semaines après la frénectomie[3]. Le professionnel de la rééducation doit s’assurer d’être disponible pour le bébé en post-opératoire, afin que le suivi soit au début très rapproché.
Conclusion : une approche mesurée et personnalisée
Le frein de langue restrictif chez le bébé est un sujet complexe qui nécessite une approche nuancée. Bien que certains cas puissent bénéficier d’une intervention chirurgicale, il est crucial de ne pas précipiter la décision, tout en tenant compte des possibilités techniques. En effet, au-delà de 6-7 mois environ, il devient très difficile d’intervenir au laser. C’est praticien-dépendant, mais c’est à prendre en compte.
Une évaluation approfondie, une prise en charge multidisciplinaire et une rééducation adaptée sont souvent les clés pour surmonter les difficultés liées à un frein restrictif.
En tant que professionnel de santé, il est important d’identifier précocement la présence d’un frein de langue restrictif. N’hésitez pas à demander l’avis d’autres professionnels de santé, chirurgien dentiste, orthophoniste qualifiés pour obtenir un avis éclairé. Avec la bonne approche et une rééducation adaptée en orthophonie, la plupart des enfants avec un frein de langue restrictif peuvent retrouver une fonction optimale et reprendre le chemin du développement harmonieux, souvent grâce à une frénectomie proposée dans un timing juste à la fois pour le bébé, pour ses parents, et pour les praticiens.
La frénectomie ne fait que partie du plan de soin lorsqu’il y a des troubles oro-myo-fonctionnels, et n’est donc pas un traitement isolé.
Chaque enfant, situation est unique, il est donc essentiel de rester à l’écoute des besoins et de travailler en étroite collaboration avec les autres professionnels de santé impliqués.